Le programme politique occidental concernant «Un Grand Proche Orient» existe depuis près de trente ans. Les publications, cartes géographiques et articles à ce sujet permettent d’imaginer à quelles perspectives conduit ce programme: fractionnement des Etats existants, apparition de nouvelles entités gouvernementales, nationales et religieuses.
Bien entendu, parallèlement, on parle beaucoup des droits des peuples autochtones et des minorités ethno-confessionnelles. Des actions visant à mettre en place leurs droits, à défendre leur légimité sont entreprises. L’une d’elles – l’organisation et la tenue d’un référendum concernant l’indépendance des kurdes du nord de l’Irak , le 25 septembre 2017.
Ce référendum ainsi que les droits des peuples autochtones et des minorités ethno-confessionnelles de la région ne sont pas des questions d’obédience uniquement locale. Cela concerne tout le monde.
D’après le programme cité plus haut et lors du règlement définitif des problèmes de la région – si, en général, il est possible d’envisager une telle issue – surgit donc une question toute naturelle – quel sera le devenir des arméniens, des kurdes, des assyriens, des aléoutes, des turks et autres peuples?
On remarque immédiatement qu’il y a mise en place de deux processus:
- formulation des droits et leur légitimation – pour certains peuples de la région;
- contournement et ignorance des droits concédés au peuple arménien.
Il convient de rappeler ici que les droits du peuple arménien, reconnus en 1918-1920, n’ont toujours pas vu leur application. Il serait donc naturel de traiter, parallèment aux théories lancées actuellement, la question des droits accordés au peuple arménien.
Il n’est pas inutile de dire qu’à l’actif de la résolution de la Question Arménienne – en 1918-1920 – pas moins de trois résolutions ont été signées: Décret du gouvernement russe (Conseil des Commissaires du Peuple) «De l’Arménie turque» («De l’Arménie Occidentale»), 11 janvier 1918; le Traité de paix de Sèvres (10 août 1920); la Sentence Arbitrale du 28e Président des Etats-Unis Woodrow Wilson concernant les frontières entre l’Arménie et la Turquie (22 novembre 1920).
Le Traité de paix de Sèvres prévoyait l’autonomie du Kurdistan et avait déterminé les frontières de cette autonomie dans son article 62: «La Commission, représentée par un membre nommé de chaque gouvernement – Grande Bretagne, France et Italie – et siègeant à Constantinople, est chargée pendant les six mois qui succèdent à la signature du Traité de mettre au point en priorité un projet d’autonomie locale dans les provinces kurdes situées à l’est de l’Euphrate, au sud de la frontière sud de l’Arménie, … et au nord de la frontière entre la Turquie, la Syrie et la Mésopotamie… Ce projet doit contenir de véritables garanties quant à la sécurité des assyro-chaldéens et autres minorités raciales ou religieuses de ces régions…»
Ajoutons qu’un journal turc – le très sérieux «Cumhuriyet» – a publié récemment sur ce sujet.Il souligne, dans un article: «A long terme, Ankara n’aura d’autre alternative que de reconnaître l’indépendance du Kurdistan, s’obliger à solutionner la Question Arménienne et l’Azerbaïdjan à s’acheminer vers la reconnaissance de l’indépendance du Nagorno-Karabagh».
On peut donc constater que l’avenir du peuple arménien est lié au solutionnement définitif et entier de la Question Arménienne y compris la création, en Arménie Occidentale, d’une République d’Arménie Occidentale. L’avenir des kurdes dépend du solutionnement définitif de la Question Kurde, en accord avec les articles concernés du Traité de paix de Sèvres. L’avenir de la Turquie actuelle est directement tributaire du solutionnement définitif des deux questions évoquées plus haut.Le processus de solutionnement de la Question Arménienne et de l’octroi de droits aux kurdes selon les articles du Traité de paix de Sèvres sont , pour la Turquie, inéluctables. L’application des décisions contenues dans le Traité de Sèvres profitera indubitablement à tous les peuples vivant dans ces contrées.
En 1920, après avoir choisi une voie démocratique pour le développement de la Turquie, les kémalistes ont obtenu un certain nombre de résultats dans les domaines économique et politique. Mais cette option ne suffit plus face aux nouvelles transformations politique et civile d’une part et la Question Arménienne d’autre part qui, depuis plusieurs siècles, ne trouve de solution ni à l’échelle du pays, ni à celle de la région et, avec en parallèle, la Question Kurde.
Ainsi, malgré les très forts désirs des uns et des autres, la Turquie ne peut s’intégrer ni à l’Europe ni à l’Eurasie tant que la condition-clé des deux problèmes non solutionnés n’est pas réglée. Alors, chercher à tout prix à contourner ces deux questions et élaborer des programmes pour ce faire, relève d’une politique à obstacles pour le développement du Proche Orient et de la Turquie. Comme nous l’avions déjà fait remarquer, le Tribunal constitutionnel français a agi exactement de la sorte lorsqu’il s’est opposé au projet de loi sanctionnant la négation criminelle du Génocide des arméniens dans la Turquie osmanienne, bloquant ainsi une possibilité pour la Turquie de se développer.
Pour un développement civilisé, il n’y a et n’y aura pas d’autre alternative.
Cela concerne et l’Arménie et les kurdes et la Turquie et le Proche Orient dans toute sa totalité. Plus vite les antagonistes comprendront et s’approprieront le coeur de cette problématique, moins les peuples de la région souffriront.
Armen Ter-Sarkissyan,
Président de l’Assemblée Nationale (Parlement) de l’Arménie Occidentale
05.12.2017
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Traduit en français par Béatrice Nazarian