Le premier traité international de l’État d’Arménie. Traité concernant la protection des minorités en Arménie et les relations commerciales (Sèvres, 10 août 1920)

Le premier traité international de l’État d’Arménie

Traité concernant la protection des minorités en Arménie et les relations commerciales

(Sèvres, 10 août 1920)

L’Empire britannique, la France, l’Italie et le Japon, Principales Puissances alliées, d’une part,

Et l’Arménie, d’autre part;

Considérant que les Principales Puissances alliées ont reconnu l’Arménie comme État souverain et indépendant;

Et considérant que l’Arménie désire conformer ses institutions aux principes de la liberté et de la justice, et en donner une sûre garantie à tous les habitants des territoires, sur lesquels elle a assumé ou assumera la souveraineté ;

Les Hautes Parties contractantes, soucieuses d’assurer l’exécution de l’article 93 du Traité de Paix avec la Turquie,

Ont, à cet effet, désigné pour leurs plénipotentiaires, savoir :

Sa Majesté le Roi du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande et des Territoires britanniques au delà des mers, Empereur des Indes :
Le Très Honorable Édouard-Georges Villiers, Comte du Derby, K. G., P. C, K. C. V. 0., C. B., Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Sa Majesté britannique à Paris ;
Et : pour le Dominion du Canada :
L’Honorable Sir George Halsey Perley, K. C. M. G., Haut Commissaire pour le Canada dans le Royaume-Uni ;
pour le Commonwealth d’Australie :
Le Très Honorable Andrew Fisher, Haut Commissaire pour l’Australie dans le Royaume-Uni ;
pour le Dominion de la Nouvelle-Zélande :
L’Honorable Sir James Allen, K. C. B.. Haut Commissaire pour la Nouvelle-Zélande dans le Royaume-Uni ;
pour l’Union Sud-Africaine :
M. Reginald Andrew Blankenberg, O. B. E., faisant fonctions de Haut Commissaire pour l’Union Sud-Africaine dans le Royaume-Uni ;
pour l’Inde :
Sir Arthur Hirtzel , K. C. B., Sous-Secrétaire d’État adjoint pour l’Inde ;

Le Président de la République française :
M. Alexandre Millerand, Président du Conseil, Ministre des Affaires étrangères ;
M. Frédéric François- Marsal, Ministre des Finances ;
M. Auguste Paul -Louis Isaac, Ministre du Commerce et de l’Industrie ;
M. Jules Cambon, Ambassadeur de France ;
M. Georges Maurice Paléologue, Ambassadeur de France, Secrétaire général du Ministre des Affaires étrangères ;

Sa Majesté le Roi d’Italie :
Le Comte Lelio Bonin Longare, Sénateur du Royaume, Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de S. M. le Roi d’Italie à Paris ;
M. Carlo Galli, Consul ;

Sa Majesté l’Empereur du Japon :
Le Vicomte Chinda, Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de S. M. l’Empereur du Japon à Londres;
M. E. Matsui, Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de S. M. l’Empereur du Japon à Paris ;

L’Arménie :
M. Avetis Aharonian, Président de la Délégation de la République de l’Arménie ;
M. Boghos Nubar, Représentant du Conseil mixte arménien de Constantinople ;

Lesquels ont, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs reconnus en bonne et due forme, convenu des stipulations suivantes :

 CHAPITRE I.

Article 1.

L’Arménie s’engage à ce que les stipulations contenues dans les articles 2 à 8 du présent chapitre soient reconnues comme lois fondamentales, à ce qu’aucune loi, aucun règlement ni aucune action officielle ne soient en contradiction ou en opposition avec ces stipulations et à ce qu’aucune loi, aucun règlement ni aucune action officielle ne prévalent contre elles.

Article 2.

L’Arménie s’engage à accorder à tous les habitants pleine et entière protection de leur vie et de leur liberté sans distinction de naissance, de nationalité, de langage, de race ou de religion.

Tous les habitants de l’Arménie auront droit au libre exercice, tant public que privé, de toute foi, religion ou croyance, dont la pratique ne sera pas incompatible avec l’ordre public et les bonnes moeurs.

Les atteintes au libre exercice des cultes seront punies de mêmes peines, quel que soit le culte intéressé.

Article 3.

L’Arménie s’engage à reconnaître les dispositions que les Principales Puissances alliées jugeront opportunes relativement à l’émigration réciproque et volontaire des individus appartenant aux minorités ethniques.

Article 4.

Tous les ressortissants arméniens seront égaux devant la loi et jouiront des mêmes droits civils et politiques sans distinction de race, de langage ou de religion.

Le Gouvernement arménien présentera dans un délai de deux ans, à dater de la mise en vigueur du présent Traité aux Principales Puissances alliées un projet de système électoral tenant compte des minorités ethniques.

La différence de religion, de croyance ou de confession ne devra nuire à aucun ressortissant arménien en ce qui concerne la jouissance des droits civils et politiques, notamment pour l’admission aux emplois publics, fonctions et honneurs ou l’exercice des différentes professions et industries.

Il ne sera édicté aucune restriction contre le libre usage par tout ressortissant arménien d’une langue quelconque soit dans les relations privées ou de commerce, soit en matière de religion, de presse ou de publications de toute nature, soit dans les réunions publiques.

Nonobstant l’établissement par le Gouvernement arménien d’une langue officielle, des facilités appropriées seront données aux ressortissants arméniens de langue autre que l’arménien, pour l’usage de leur langue, soit oralement, soit par écrit devant les tribunaux.

Article 5.

Les ressortissants arméniens, appartenant à des minorités ethniques, de religion ou de langue, jouiront du même traitement et des mêmes garanties en droit et en fait que les autres ressortissants arméniens. Ils auront notamment un droit égal à créer, diriger et contrôler à leurs frais des institutions charitables, religieuses ou sociales, des écoles et autres établissements d’éducation, avec le droit d’y faire librement usage de leur propre langue et d’y exercer librement leur religion.

Article 6.

En matière d’enseignement public, le Gouvernement arménien accordera, dans les villes et districts où réside une proportion considérable de ressortissants arméniens de langue autre que la langue arménienne, des facilités appropriées pour assurer que l’instruction sera donnée, dans leur propre langue, aux enfants de ces ressortissants arméniens. Cette stipulation n’empêchera pas le Gouvernement arménien de rendre obligatoire l’enseignement de la langue arménienne dans iesdites écoles.

Dans les villes et districts, où réside une proportion considérable de ressortissants arméniens appartenant à des minorités ethniques, de religion ou de langue, ces minorités se verront assurer une part équitable dans le bénéfice et l’affectation des sommes, qui pourraient être attribuées sur les fonds publics par le budget de l’État, les budgets municipaux ou autres, dans un but d’éducation, de religion ou de charité.

Article 7.

L’Arménie convient de prendre à l’égard des Musulmans toutes dispositions nécessaires pour régler, conformément aux usages musulmans, les questions de droit de famille et de statut personnel.

L’Arménie s’engage à accorder protection aux mosquées, cimetières et autres établissements religieux musulmans. Pleine reconnaissance et toutes facilités seront assurées aux fondations pieuses (vakoufs), et aux établissements musulmans religieux et charitables actuellement existants, et l’Arménie ne refusera, pour la création de nouveaux établissements religieux et charitables, aucune des facilités nécessaires garanties aux autres établissements privés de ce genre.

Article 8.

L’Arménie convient que, dans la mesure où les stipulations des articles précédents affectent des personnes appartenant à des minorités de race, de religion ou de langue, ces stipulations constituent des obligations d’intérêt international et seront placées sous la garantie de la Société des Nations. Elles ne pourront être modifiées sans l’assentiment de la majorité du Conseil de la Société des Nations. L’Empire britannique, la France, l’Italie et le Japon s’engagent à ne pas refuser leur assentiment à toute modification desdits articles, qui serait consentie en due forme par une majorité du Conseil de la Société des Nations.

L’Arménie agrée que tout membre du Conseil de la Société des Nations aura le droit de signaler à l’attention du Conseil toute infraction ou danger d’infraction à l’une quelconque de ces obligations, et que le Conseil pourra procéder de telle façon et donner telles instructions qui paraîtront appropriées et efficaces dans la circonstance.

L’Arménie agrée en outre qu’en cas de divergence d’opinion, sur des questions de droit ou de fait concernant ces articles, entre l’Arménie et l’une quelconque des Principales Puissances alliées ou toute autre Puissance, Membre du Conseil de la Société des Nations, cette divergence sera considérée comme un différend ayant un caractère international selon les termes de l’article 14 du Pacte de la Société des Nations. Le Gouvernement arménien agrée que tout différend de ce genre sera, si l’autre partie le demande, déféré à la Cour permanente de Justice. La décision de la Cour permanente aura la même force et valeur qu’une décision rendue en vertu de l’article 13 du Pacte.

 CHAPITRE II.

Article 9.

Chacune des Principales Puissances alliées d’une part et l’Arménie d’autre part pourront nommer des Représentants diplomatiques dans leurs capitales respectives ainsi que des Consuls généraux, Consuls, Vice-Consuls et Agents consulaires dans les villes et ports de leurs territoires respectifs.

Les Consuls généraux, Consuls, Vice-Consuls et Agents consulaires ne pourront toutefois entrer en fonctions, qu’après avoir été admis dans la forme habituelle par le Gouvernement, sur le territoire duquel ils sont envoyés.

Les Consuls généraux, Consuls, Vice-Consuls et Agents consulaires jouiront de tous avantages, exemptions et immunités de toute sorte, qui sont ou seront assurés aux agents consulaires de la nation la plus favorisée.

Article 10.

L’Arménie s’engage à ne conclure aucun traité, convention ou accord, et à ne prendre aucune mesure, qui l’empêcherait de participer à toute convention générale qui pourrait être conclue sous les auspices de la Société des Nations, en vue du traitement équitable du commerce des autres États, au cours d’une période de cinq années à partir de la mise en vigueur du présent Traité.

L’Arménie s’engage également à étendre à tous les États alliés toute faveur ou privilège qu’elle pourrait, au cours de la même période de cinq ans, accorder en matière douanière, à l’un quelconque des États avec lesquels, depuis le mois d’août 1914, les États alliés ont été en guerre, ou à tout autre État qui, en vertu de l’article 222 du Traité de paix avec l’Autriche, aurait avec ces mêmes États des arrangements douaniers spéciaux.

Article 11.

Jusqu’à la conclusion de la Convention générale ci-dessus visée, l’Arménie s’engage à accorder le même traitement qu’aux navires nationaux ou aux navires de la nation la plus favorisée, aux navires de tous les États alliés qui accordent un traitement analogue aux navires arméniens.

Par exception à cette disposition, le droit est expressément reconnu à tout État allié de réserver son trafic de cabotage aux navires nationaux.

Article 12.

En attendant la conclusion, sous les auspices de la Société des Nations, d’une Convention générale destinée à assurer et à maintenir la liberté des communications et du transit, l’Arménie s’engage à accorder, sur le territoire arménien, la liberté de transit aux personnes, marchandises, navires, voitures, wagons et courriers postaux transitant en provenance ou à destination de l’un quelconque des États alliés, et à leur accorder, en ce qui concerne les facilités, charges, restrictions ou toutes autres matières, un traitement au moins aussi favorable qu’aux personnes, marchandises, navires, voitures, wagons et courriers postaux arméniens ou de toute autre nationalité, origine, importation ou propriété qui jouirait d’un régime plus favorable.

Toutes les charges imposées en Arménie sur ce trafic en transit devront être raisonnables eu égard aux conditions de ce trafic. Les marchandises en transit seront exemptes de tous droits de douane ou autres.

Des tarifs communs pour le trafic en transit à travers l’Arménie, et des tarifs communs entre l’Arménie et un État allié quelconque comportant des billets ou lettres de voiture directs, seront établis, si cette Puissance alliée en fait la demande.

La liberté de transit s’étendra aux services postaux, télégraphiques ou téléphoniques.

Il est entendu qu’aucun État allié n’aura le droit de réclamer le bénéfice de ces dispositions pour une partie quelconque de son territoire dans laquelle un traitement réciproque ne serait pas accordé en ce qui concerne le même objet.

Si, au cours d’une période de cinq ans, à partir de la mise en vigueur du présent Traité, la Convention générale ci-dessus prévue n’a pas été conclue sous les auspices de la Société des Nations, l’Arménie aura, à quelque moment que ce soit, le droit de mettre fin aux dispositions du présent article, à condition de donner un préavis de douze mois au Secrétaire Général de la Société des Nations.

Article 13.

Tous les droits et privilèges accordés par les articles précédents aux Puissances alliées seront également acquis à tous les États Membres de la Société des Nations.

Le présent Traité, rédigé en français, en anglais et en italien et dont le texte français fera foi en cas de divergence, sera ratifié. Il entrera en vigueur en même temps que le Traité de paix avec la Turquie.

Le dépôt des ratifications sera effectué à Paris.

Les Puissances, dont le Gouvernement a son siège hors d’Europe, auront la faculté de se borner à faire connaître au Gouvernement de la République française, par leur représentant diplomatique à Paris, que leur ratification a été donnée et, dans ce cas, elles devront en transmettre l’instrument aussitôt que faire se pourra.

Un procès-verbal de dépôt de ratification sera dressé.

Le Gouvernement français remettra à toutes les Puissances signataires une copie certifiée conforme du procès-verbal de dépôt de ratification.

En foi de quoi les plénipotentiaires susnommés ont signé le présent Traité.

Fait à Sèvres, le 10 août mil neuf cent vingt, en un seul exemplaire qui restera déposé dans les archives du Gouvernement de la République française et dont les expéditions authentiques seront remises à chacune des Puissances signataires.

10 août 1920
Sèvres, France