VIDEO – Le piège d’Alyev et d’Erdogan. Quel autre va encore s’y laisser prendre?

Dangereux précédent. Déchaîner la guerre, la perdre, perdre des territoires puis, par intermédiaires et en grinçant des dents, arrêter cette guerre soit disant de manière illimitée, désigner comme agresseurs ceux que tu as attaqués, exiger une annulation politique des bilans de cette guerre, prendre un time-out vieux de 26 ans, puis reprendre au même point – en ayant repris des forces et prétendre qu’on t’a attaqué? C’est ce qu’a fait l’Azerbaïdjan qui avait subi au début des années 90 une défaite dans sa guerre contre le Karabagh. Ce Karabagh dont le territoire avec droit à l’autonomie, avait été transmis à la légère par Staline à l’Azerbaïdjan et qui, déjà avant la chute de l’URSS, par voie de référendum, a utilisé son droit légal à l’autodétermination. Cela signifie-t-il que les transactions par intermédiaires se sont avérées piège? Possible, et étaient un piège.

Au Forum de Valdaï, concernant le début du conflit au Karabagh, Poutine a déclaré: Citation: «Ce conflit n’a pas éclaté tout simplement comme un conflit entre Etats et luttes pour le territoire. Il a commencé par un affrontement ethnique. Ca a été malheureusement le cas quand à Soumgaït et ensuite au Nagorno-Karabagh de cruels crimes ont été commis à l’encontre du peuple arménien…»

Poutine a raison: c’est un combat contre la violence envers les arméniens et leur droit de vivre sur leur terre historique.

Ainsi, la guerre des années 90 a été interrompue. Rappelons la citation extraite des mémoires du représentant plénipotentiaire du Président de la Fédération de Russie concernant le Nagorno-Karabagh, participant et co-président russe du groupe de Minsk du Conseil de sécurité et diplomate Vladimir Casimirov: «L’Azerbaïdjan s’est prêté au cessez-le-feu en mai 1994 non pas pour appliquer les décisions du Conseil de sécurité de l’ONU qu’il a vigoureusement ignorées pendant plus d’une année mais en raison d’une série de défaites militaires mettant ses dirigeants sur une ligne de pertes militaires et de pouvoir…»

La partie victorieuse – le Karabagh – s’est prêtée aux pourparlers. L’unique possibilité à laquelle aspiraient les arméniens était de vivre en sécurité sur leur territoire. Les territoires en échange d’un statut – disaient-ils, en prenant en compte les environs adossés à la République du Haut-Karabagh. Les territoires, en échange de la paix – exigeait Bakou, menaçant sans cesse d’une nouvelle guerre. 26 ans de pourparlers. Pendant 26 ans l’Arménie s’abstenait de reconnaître l’indépendance de la République du Haut-Karabagh pour ne pas rompre les pourparlers de paix en cours.

Revenons à aujourd’hui. De nouveau la guerre. De nouveau le sang coule. La Turquie a garanti à Alyev la victoire. Elle l’a armé jusqu’aux dents, l’a renforcé avec l’envoi de mercenaires, de forces spéciales, de spécialites et de ses instructeurs militaires. On voit que le territoire arménien et jusqu’à l’Azerbaïdjan lui sont absolument nécessaires. La question de l’Artsakh seule est un simple épisode pour la Turquie. C’est comme ça, un petit obstacle sur la route de grandes victoires.

Sur l’exemple de Gandja, on peut voir comment on induit le peuple de l’Azerbaïdjan à des provocations politiques. Le 26 octobre Alyev, dans une vidéo à l’adresse de son peuple, a enfin reconnu que dans son pays sont basés des avions militaires turcs F-16 prêts à l’action dès que ce sera nécessaire. Mais il n’a pas dit que ces avions de chasse sont prêts à l’envol de l’aéroport international de Gandja – ville d’où n’ont pas été évacués ses habitants pacifiques. Même après que des photos de l’aéroport de Ganja montrant deux avions de chasse turcs aient fait le tour du monde, le 3 octobre, Bakou a dirigé ses tirs sur Gandja. Le 4 octobre ont eu lieu les premiers tirs sur l’aéroport – de fait les tirs sur Gandja comme l’avait annoncé Bakou.

Comme pour les quatre décisions de l’ONU pour un cesser-le-feu et les trois accords de cesser-le-feu humanitaire, Bakou, sur les conseils de la Turquie, les fait échouer avec éclat. Il y a ruptures des deux côtés. Le premier accord s’est soldé par la tentave de prendre Hadrout. Le deuxième – l’attaque en direction de Khoudoférinsk. Le troisième. C’est ici que c’est intéressant. De nuit, une attaque massive, un important assaut de positions et, pour prévenir une contre-attaque des forces arméniennes – dès le matin un cesser-le-feu humanitaire.

Pour que tous puissent souffler. Et Erdogan assure. Avec deux des trois co-présidents du groupe de Minsk – la France et les USA – , il se livre à une confrontation ouverte:  il conseille à deux reprises à Macron de soigner son état mental et il jette au visage des USA qu’ils ne savent pas à qui ils ont affaire. «Nous ne sommes pas un Etat tribal, nous sommes la Turquie» déclare Erdogan. Il y a environ deux jours, l’ambassade des USA en Azerbaïdjan a prévenu ses citoyens et d’autres étrangers de menaces d’actes terroristes à Bakou y compris dans les hôtels.

«L’ambassade des USA à Bakou a reçu des informations vérifiées d’actes terroristes potentiels et d’enlèvements visant des citoyens américains et des étrangers résidant à Bakou» informe le service de presse de la mission diplomatique.

Mais Erdogan ne se conduit pas de la sorte avec la Russie. De plus, il a démonstrativement provoqué cette même Amérique en déclarant que son pays ne se prêterait pas aux menaces des USA qui exigent d’Ankara qu’elle refuse les systèmes russes PVO C-400.

A ce même Forum de Valdaï, Poutine a déclaré qu’il était fiable de travailler avec lui et qu’il ne craignait pas de complications avec la Turquie. Mais la Russie, comme on le sait, est l’alliée stratégique de l’Arménie qui a son tour est le garant du Nagorno-Karabagh. Erdorgan a, bien entendu, tout soupesé depuis longtemps. Mais Poutine non plus n’est pas simple. Nous pensons qu’il n’est pas simple. Il y a des ornières partout.

«Le conflit du Karabagh a commencé par un crime contre le peuple arménien… a déclaré Poutine au Forum de Valdaï, mais il a ajouté: «Dans le même temps, nous comprenons qu’une telle situation où l’Azerbaïdjan a perdu une partie importante de son territoire, ne peut durer éternellement». Qu’en est-il de ces territoires dont parle Bakou? Les arméniens, – antécédemment citoyens à part entière de l’Azerbaïdjan socialiste soviétique, sous le coup des nettoyages ethniques azerbaïdjanais  à Bakou, Soumgaït, Gandja, Chaoumyan, Banants ainsi que dans d’autres localités peuplées de l’Azerbaïdjan –  se sont déplacés dans des endroits non contrôlés par les autorité de Bakou – autour du Nagorno-Karabagh ainsi qu’ au Nagorny-Karabagh.

Voilà qui Alyev bombarde aujourd’hui. Et demain que fera-t-il d’eux – au cas où les territoires seraient rendus à son contrôle? Nous l’avons déjà vu à Soumgaït et à Bakou. Nous le voyons également maintenant. La reconnaissance de l’indépendance de la République du Nagorno-Karabagh est l’unique possibilité de résoudre cette question. Le peuple de l’Artsakh s’est autodéterminé. Cette guerre imposée a renforcé ses droits sur ses territoires que peupleront les arméniens-réfugiés, par le passé citoyens de l’Azerbaïdjan. La victoire sur le champ de bataille ne peut être effacée à la table des négociations. Et si elle l’est – c’est alors un dangereux précédent.

Ne peut être également effacée la Sentence Arbitrale du Président des Etats-Unis Woodrow Wilson concernant les frontières de la Turquie et de l’Arménie après la Première Guerre Mondiale. Cela réglait également le destin du Karabagh. La Turquie et l’Arménie avaient accepté la décision du Président des Etats-Unis quant à l’arbitrage des frontières. Cela ne s’est pas réalisé à cause du changement de régime en Turquie et de la soviétisation de l’Arménie. Nonobstant, la Décision Arbitrale doit obligatoirement aboutir sans délai de prescription.

L’Allemagne hitlérienne a été punie pour ses crimes – pour les guerres déclarées, les nettoyages ethniques et le Génocide. Et en quoi la Turquie et l’Azerbaïdjan d’Alyev seraient-ils meilleurs que l’Allemagne hitlérienne? Ne seront-ils pas punis pour les crimes cruels envers leurs propres citoyens et envers l’humanité?

P.S. Macron est tombé le premier dans le piège d’Erdogan. Il y a eu l’assassinat d’un enseignant, au motif religieux. Par décapitation. Erdogan a corsé la situation en réagissant à la réaction de Macron. Et il a présenté son opposition géopolitique sous couvert de religion, inondant Macron de salves de critiques de la part des musulmans du monde entier. Dans cette affaire, il a subrepticement montré son arme. Mais de çà, plus tard.

28.10.2020

NOYAN TAPAN

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Traduit en français par Béatrice Nazarian