Edouardos Polatidis: «Ce 19 mai, l’Arménie ainsi que tout le monde chrétien, commémore la mémoire des victimes du Génocide des grecs pontiques»

Ce 19 mai 2023, en la Sainte Eglise Apostolique arménienne « Sourb Sarkis » de Erévan  a été célébré un office de deuil en mémoire des victimes du Génocide des grecs, arméniens, assyriens, arabes et kurdes en Turquie.

Cet office a rassemblé beaucoup de monde: des descendants de ces grecs pontiques, de ces arméniens, des personnes de nationalités différentes, des responsables d’associations, des acteurs de la culture, des sciences, des officiers d’active et de réserve de l’armée arménienne, des vétérans de la guerre – tous ceux pour qui  le destin des peuples tient à coeur et  qui ont subi et subissent encore à l’heure actuelle un Génocide.

Père Shahen, prêtre de l’église «Saint Serge», a célébré cette cérémonie de deuil et à la fin s’est dressé à tous avec des paroles pénétrantes.

Il  a souligné la similitude des destins des arméniens et des grecs – deux peuples aryens très anciens qui ont eu le malheur de tomber sous le joug turc et il a particulièrement insisté sur le fait que la politique des turcs et de la Turquie, depuis leur  apparition sur le Plateau Arménien et en Anatolie, a toujours été la même – tuer, tuer et encore tuer et que dans le monde tel qu’il est actuellement l’amitié et l’unité de deux peuples chrétiens frères n’est pas seulement un voeu mais un impératif catégorique.

A notre regret aucun représentant des dirigeants arméniens n’était présent à la cérémonie. Vraisemblablement il n’y avait eu ni l’aval d’Ankara ni de Bakou. Il n’y avait pas non plus de représentants des « partis d’opposition » arméniens.

Après l’office de deuil, dans la cour de l’église « Sourb Sarkis », un court meeting s’est tenu et y a pris la parole le Président de l’Organisation des grecs d’Arménie et‘Artsakh, vétéran de la guerre d’Artsakh, défenseur des droits, Edouard Polatov (Edouardos Polatidis).

Nous présentons le texte intégral de sa déclaration.

Chers amis,

En ce jour du 19 mai 2023 tout le monde chrétien, toute l’humanité progressiste, commémore cette date funeste dans la vie des peuples d’abord soumis à l’Empire ottoman puis à la République Turquie. C’est le jour consacré à la mémoire des victimes du Génocide des grecs pontiques, peuple vivant dans ce pays depuis des temps immémoriaux et communiquant jusqu’à présent dans la langue d’Homère. Tout au long de 20 siècles ils étaient égorgés, déportés, trucidés de force à la suite de quoi des nombreux millions du peuple autochtone grec il en reste à peine 5.000. Ont subi un destin identique les autres peuples autochtones – les assyriens auxquels nous devons l’une des plus anciennes civilisation du monde, les arméniens dont l’histoire remonte à 4.500 ans, les kurdes, les yézidis …

Je serai bref. Nous n’allons pas traiter dans son détail l’histoire du Génocide des grecs, des arméniens, des assyriens et autres peuples, commis sur le territoire de l’Empire ottoman – représenté aujourd’hui par la Turquie -, étant donné que ces crimes ont fait l’objet de milliers d’articles, d’ouvrages et de thèses et que la réalité de ce crime est connu du monde entier.

Il y a 32 ans, « Phénix », l’Union des grecs d’Arménie dénommée aujourd’hui Organisation « Patrida » s’était adressée aux dirigeants de l’Arménie soviétique puis, plus tard, au gouvernement de la République Arménie en demandant de reconnaître le Génocide des grecs sur le territoire de la Turquie. Nous ne faisons pas de différence quant à l’implantation territoriale des victimes de ce crime. Pour nous, ceux qui ont péri étaient des frères grecs – du Pont, de Kars, de Smyrne, de Constantinople et de nombreuses autres régions de la Turquie actuelle.

Lorsque que nous commémorons le Génocide des grecs et des arméniens, nous nous devons d’honorer la mémoire des différentes nations et peuples vivant en Turquie. A la différence des turcs, nous avons conscience que le Génocide des peuples constitue l’une des pages sombres de l’histoire du peuple turc et de sa gouvernance.

En 1922, le chef de la nouvelle Turquie « démocratique », le général Kémal Atatürk, a incendié Smyrne (Izmir). Plus de 100.000 personnes ont péri par le feu, surtout des grecs et des arméniens rescapés du Génocide en nombre moindre. Contemplant l’incendie et savourant le fait de voir des gens paisibles périr, Atatürk s’est exclamé: « Dans l’incendie purificateur d’Izmir brûlent les ennemis de la Turquie et ainsi renaît sa gloire!».

A la suite du crime sus-cité, une déchristianisation totale s’est produite sur tout le territoire de la Turquie. Plus de 5.000.000 de chrétiens ont péri, mais également des millions d’arabes, de kurdes ainsi que des représentants d’autres peuples. Des millions d’entre eux ont subi une assimilation forcée. Les autorités de la Turquie, arpent après arpent, ont conquis nos antiques territoires en y installant des barbares d’obédience pantürkiste. Il n’y a pas à chercher bien loin: la dernière occupation en date qui me vient à l’esprit est celle de Chypre du nord en 1974.

Et à chaque fois, les puissants de ce monde admettent la politique du fait accompli.

Henri Barbie, publiciste français ayant séjourné en Anatolie en 1916, relatera dans ses carnets de voyage: »Celui qui traverse en ce moment l’Arménie dévastée ne peut pas ne pas tressaillir à la vue de ces étendues de ruines sans fin et de morts. Il ne reste pas un arbre, pas un rocher, ni une motte de terre qui n’ait été profané par les torrents du sang répandu. Pas une seule rivière ou petit cours d’eau où flottaient des centaines de milliers de cadavres emmenés vers l’oubli éternel. Chaque précipice, chaque col servait de tombe à ciel ouvert et dans leurs profondeurs on distinguait la blancheur des poitrines ouvertes des squelettes car les assassins ne se sont même pas donné le temps ni la peine d’enterrer leurs victimes ».

D’après le témoignage d’Herbert Adams Gibbons, historien anglais et docteur en philosophie, « …Le programme d’expatriation de la paisible population locale vers la Mésopotamie a été encore plus atroce. Aucune exception n’était faite ni pour les malades ni pour les femmes enceintes. Il était interdit de prendre avec soi ses effets. Et ces malheureux, sous un soleil torride, devaient marcher 5 à 6 semaines. Les vieillards, les malades, les enfants tombaient en cours de route et ne se relevaient pas. Les femmes, sur le point d’accoucher, étaient contraintes d’avancer sous la menace des fouets. Et lorsque l’accouchement se produisait pendant la marche, la femme, ensanglantée avec son enfant mort-né, était laissée à mourir dans la poussière. Certains, s’ils le pouvaient, se suicidaient. Des mères devenues démentes frappaient leur nouveau-né contre le sol pour lui épargner les souffrances. Des centaines de milliers de femmes et d’enfants ont péri de faim et de soif en cours de route».

Cette tragédie ne touchait pas que les arméniens et les grecs mais également ceux, pour motif politique, que les dirigeants de l’Empire ottoman avaient décidé soit de supprimer soit de chasser des terres de l’Empire qui historiquement leur appartenaient.

Est-ce que tout cela aurait pu être évité? Autrement dit, aurait-on pu échapper au Génocide? Sont-ce les peuples anéantis par le Génocide les fautifs? Ces questions surgissent là où règne encore la représentation naïve que le fait du Génocide  serait  liée à l’attitude des grecs, des arméniens, des macédoniens, des assyriens, des kurdes et autres peuples et dont les autorités turques avaient décidé de se débarrasser. Il semblerait que si ces peuples avaient été un peu plus discrets, plus dociles, plus fidèles,  et s’ils n’avaient pas pris les armes, il n’y aurait pas eu de Génocide. Autrement dit, ces peuples soumis à Génocide sont eux-mêmes responsables de cette haine envers eux. Nonobstant, le responsable exclusif du Génocide de tous les peuples autochtones au sein de l’Empire ottoman et réduits à l’état de minorité nationale est bien la partie turque.

Ne prenant pas en considération la mort de millions d’individus, une vague de haine s’est répandue dans toute la Turquie, servant à faire réaliser ces programmes atroces qui étaient connus des seuls dirigeants de l’Empire. Voilà comment a été créée au XXe siècle la machine à assassiner et qui, plus tard, au XXIe siècle sera réactivée au Proche-Orient par l’entremise de nombreuses organisations terroristes. Pour les dirigeants turcs, les pays et les peuples ne sont rien. Ce sont des matériaux destinés à réaliser leurs aspirations. Même aujourd’hui, comme au siècle passé, la Turquie par l’intermédiaire de ses dirigeants, ne peut se calmer et affirme ses prétentions sur des territoires qui ne lui appartiennent pas, y inclut la question du statut des îles en mer Egée. Il n’y a pas si longtemps, le président de la Turquie, Redjep Tayip Erdogan a menacé la Grèce de ses missiles balistiques « Typhon ». La réponse à ces propos ne s’est pas fait longtemps attendre. Les grecs, en la personne de leur Premier Ministre Mitsotakis, ont répondu laconiquement: « Notre réponse à la Turquie – c’est notre vigilance, le renforcement de nos forces armées, nos relations internationales mais, avant tout, l’unité de notre peuple. Alors, que nos voisins cessent ce feu d’artifice anecdotique, leurs déclarations fracassantes à l’adresse de la Grèce utilisés à des fins de politique intérieure à l’intention de l’opinion publique turque. Cela ne nous effraie ni ne nous ébranle. A la fin des fins, ces menaces proférées de l’autre côté de la mer Egée trouvent un écho dans une phrase familière qui résume la force de notre nation: » Oh, monsieur Erdogan!».

Et je m’exprimerai dans la langue qu’il comprend sans doute le mieux: suffit de jouer avec la Grèce. Bravo monsieur Mitsotakis!

Mais, comme on le dit, les assassins n’ont pas de nationalité. On peut être d’accord là-dessus si le crime a eu lieu sur son propre  sol. Mais lorsqu’un crime de masse sur une population pacifique est planifié, ordonné au niveau gouvernemental sur critère ethnique, il aurait été sacrilège vis-à-vis des arméniens, grecs, assyriens, kurdes et autres peuples massacrés en raison de leur nationalité de ne pas honorer leur mémoire.

D’après le droit international, un massacre de masse organisé par une nation contre une autre est qualifié de Génocide.

Conformément à l’éminente sagesse chrétienne, reflétée dans les lois des pays européens, on n’exécute pas l’assassin, on lui donne la possibilité de sauver si ce n’est sa peau du moins son âme. Même le crime le plus infâme peut, à la limitée, être oublié ou pardonné dans le cas où l’assassin a reconnu tout le poids du mal qu’il a fait et s’est repenti. Selon la doctrine chrétienne, cela lui donne la possibilité de sauver son âme et je pense que cette question est clairement énoncée dans les sourates du Coran. Cela fait plus d’un siècle que la Turquie a la possibilité de se repentir mais, non seulement elle nie avoir accompli ces faits atroces et elle continue d’appliquer une politique qui par sa nature est peu différente de celle des turcs ottomans.

Avec une telle approche de sa propre histoire, on comprend pourquoi la Turquie a dû recourir à des falsifications de taille. En 1931, pour se blanchir et sur ordre de Kémal Atatürk, un décret actait la création d’ une « Société d’histoire de la Turquie ». Elle était composée d’historiens turcs et d’historiens étrangers engagés y compris des historiens de l’Union soviétique dont la Fédération de Russie est l’héritière. Les historiens avaient pour commande de nettoyer les archives, de falsifier les anciennes et de fabriquer une nouvelle histoire des peuples vivant sous le joug ottoman. Bien entendu on peut nettoyer les archives mais comment expliquer la disparition du territoire turc de millions d’arméniens, de grecs et d’assyriens? Pourrait-on croire que ces peuples aient décidé de quitter de leur propre gré leur Patrie, leurs foyers, leurs églises et se soumettre volontairement à l’assimilation?

Justement, leur disparition constitue une preuve des plus convaincantes de la réalité du Génocide. Le refus de reconnaître le Génocide des peuples vivant dans l’Empire ottoman place les gouvernants turcs et le peuple turc en dehors du consensus mondial concernant la question des crimes contre l’humanité. Il est difficile d’imaginer l’Europe actuelle si la défaite écrasante des turcs, près de Vienne en 1683, n’avait pas eu lieu – celle-là même qui a précédé la fin de l’Empire ottoman.

Tout portait à croire l’Autriche condamnée et les turcs étaient en mesure de commencer une nouvelle expansion à grande échelle vers l’Europe. Mais il y avait également des gens qui pensaient autrement. Le roi Jan III Sobieski en était qui avait des comptes personnels vis-à-vis des turcs.

La bataille a eu lieu le 12 septembre 1683. Vienne, capitale de l’Autriche, a été assiégée pendant   deux mois par les armées de l’Empire ottoman. L’ultime bataille et victoire des chrétiens  du 12 septembre 1683 a stoppé les guerres d’expansion de l’Empire ottoman sur le sol européen et l’Autriche est devenu pour des décennies l’Etat le plus puissant d’Europe centrale.

Aujourd’hui, la Turquie se livre à une nouvelle expansion en Europe, installant dans les pays européens des foules de musulmans radicalisés. L’Europe va-t-elle se réveiller?

Dieu et la mémoire de nos ancêtres nous accompagnent!

Unis, nous représentons une force.

Edouard Polatov (Edouardos Polatidis)

Responsable de l’Organisation des grecs d’Arménie et d’Artsakh «Patrida»,

Député de l’Assemblée Nationale (Parlement) d’Arménie Occidentale,

Président de l’Organisation patriotique des vétérans de la guerre «Talysh – les villages frontaliers»,

Vétéran de la guerre d’Artsakh, défenseur des droits

République Arménie, Erévan, Eglise apostolique arménienne «Sourb Sarkis»

19 mai 2023

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L’Organisation des grecs d’Arménie et d’Artsakh «Patrida» exprime sa gratitude à l’Eglise apostolique arménienne et l’éparchie de la région Ararat pour sa collaboration religieuse et son aide